Intervention de Vincent Bolloré

Réunion du mercredi 13 mars 2024 à 15h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+ :

Je réponds naturellement à votre invitation et comprends qu'il me faut donner les grandes lignes de mon parcours.

J'ai eu la chance de naître dans une famille catholique, bretonne, riche et célèbre. Elle était riche d'argent, grâce à la vente du papier à cigarettes OCB, qui était extraordinairement connu – « Si vous les aimez bien roulées, OCB », disait la publicité – et rentable. Elle était aussi riche de tendresse. C'était une famille nombreuse. Nous étions – nous sommes toujours – très heureux ensemble.

Certains de ses membres étaient célèbres, parce qu'ils avaient fait une guerre admirable. Le 6 juin 1944, dont nous allons bientôt fêter le quatre-vingtième anniversaire, deux des 177 Français qui ont débarqué – le général de Gaulle, prévenu l'avant-veille, avait exigé la participation de troupes françaises – étaient de ma famille. Mon père était résistant, ainsi que certains de mes oncles, tandis que d'autres étaient à Londres ou dans l'escadrille Normandie-Niemen. En les écoutant, sur la terrasse en Bretagne, raconter leurs souvenirs, nous étions heureux.

Je n'avais donc plutôt rien à faire dans ma vie, la reprise de la papeterie étant assurée par René-Guillaume, fils de René. Moi qui étais le cinquième fils de Michel, je n'étais destiné à rien, sinon à avoir assez d'argent pour ne pas faire grand-chose, ce qui, sincèrement, était tout à fait dans mes cordes. J'ai donc passé dix ans dans la banque, tranquillement, après des études convenables, jusqu'au doctorat de droit, et j'étais très heureux.

Malheureusement, face aux difficultés de l'entreprise, il a fallu que quelqu'un s'y colle. Le papier à rouler ne trouvait plus preneur. Notre grande spécialité était le papier carbone, un papier noir – dont certains se souviennent – servant à dupliquer les documents, était rendu inutile par l'apparition de la photocopieuse. L'entreprise employait 800 personnes. Personne ne voulait prendre le risque social d'aller dans cette affaire, qui était très endettée.

J'y suis allé et j'y ai passé quarante ans, de 1981 à 2022. À mon arrivée, nous étions 800 ; à mon départ, 80 000. Disons que les choses ont plutôt bien marché. Nous faisons partie des 500 premiers groupes mondiaux. Grâce à cette période de ma vie, j'ai contribué ou participé à plusieurs aventures industrielles fortes.

Nous sommes passés du papier carbone, dont j'ai arrêté la production, aux sachets à thé, alors en tissu. Il s'est avéré que le papier présente les qualités mécaniques nécessaires pour résister à la traction de la cuillère et à l'eau bouillante. Nous sommes devenus numéro un mondial des sachets à thé. Puis nous nous sommes lancés dans les films pour condensateur, dont nous sommes toujours le numéro un mondial. Ce sont de petits composants qui équipent notamment vos appareils photo et vos voitures.

Ensuite, nous sommes devenus l'un des cinq premiers groupes mondiaux dans les transports. Nous avons investi, créé des filières, embauché des gens, construit des hangars et développé des lignes logistiques. Nous avons continué ainsi dans divers secteurs, car je pensais qu'être un groupe diversifié permettait de réduire les risques. En ne mettant pas tous ses œufs dans le même panier, on a plus de chance de s'en sortir. J'avais été un peu traumatisé par le contraste entre ma jeunesse très sympathique, agréable, et ce moment où tout a failli basculer.

Le groupe s'est bien développé. Il s'est lancé dans les médias il y a un peu plus de vingt ans pour deux raisons. La première est que mon deuxième fils, Yannick, ne voulait pas travailler dans le groupe, car aucun de ses secteurs d'activité ne l'intéressait. Il était parti dans le cinéma. J'ai pensé qu'en me lançant dans les médias, avec Philippe Labro, je pourrais l'y faire venir, et j'y suis en effet parvenu. La seconde raison est plus triviale. Contrairement à ce que les gens imaginent, le secteur des médias est le deuxième secteur d'activité le plus rentable au monde, après le luxe. Ainsi, pour des raisons relevant à la fois de l'intime et de l'attrait du gain, nous nous sommes lancés dans les médias.

Au début, personne n'y croyait. Nous avons commencé par une petite chaîne de la TNT, dans laquelle personne ne voulait investir. Les grands groupes, Canal+ compris, n'en voyaient pas l'intérêt. Notre groupe est devenu le premier groupe audiovisuel non seulement français mais aussi européen. Il fera sans doute partie des grands groupes mondiaux ; il diffusera l'image de la France et les contenus européens dans le monde. Notre conviction est la suivante : entre les contenus américains, formidables mais un peu répétitifs – de Spider Man 1, 2 et 3 à Batman 1, 2 et 3 –, et les contenus asiatiques un peu plus compliqués à comprendre, il y a sans doute une culture intéressante à mettre en avant. Jusqu'à présent, elle a du succès.

Le 17 février 2022, date du bicentenaire du groupe Bolloré, j'ai pris ma retraite. Je l'avais prévu à mon arrivée, quarante ans plus tôt. On me disait : « Vous ne resterez pas longtemps. Vous venez de la banque, vous allez repartir ». J'ai promis de rester jusqu'au bicentenaire du groupe. Pour être franc, il m'est arrivé de trouver le temps long, mais en fin de compte l'échéance est arrivée assez rapidement. J'ai cédé mes fonctions opérationnelles à mes successeurs, qui dirigent admirablement puisque le groupe, depuis que je suis parti, marche encore mieux. Je me réjouis d'avoir nommé les bonnes personnes aux bons endroits.

Je conserve un rôle de conseil, mais j'y passe peu de temps, m'étant lancé dans la philanthropie. Les Anglais disent qu'il y a trois périodes dans la vie : learning, celle où l'on apprend ; earning, celle où l'on construit ; giving, celle où l'on rend. J'ai beaucoup reçu. Je suis né avec une cuillère en argent dans la bouche. Ce que j'ai fait, je l'ai fait non par choix, mais par nécessité.

J'avais créé la Fondation de la 2ème chance, que dirige ma fille Marie, et qui a aidé près de 9 000 personnes en un peu plus de vingt ans, grâce à plus de 1 000 bénévoles ayant accepté d'être parrain ou marraine de gens en difficulté. Pour les aider, nous avons construit des cliniques et des foyers. Nous lançons une association sur nos fonds personnels, Mayday, qui a pour objet d'aider les personnes en difficulté.

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